21 septembre 2023
Le meilleur ami de l’homme : Extrait de »Mémoires de Créatif »
« Ça y est, ton père vient d’être affecté à Douala. Nous partons bientôt ! Enfin Seigneur merci ! Réveille-toi et viens féliciter ton père. Tous tes frères et soeurs sont déjà au salon » criait ma mère dont la voix se dirigeait progressivement vers la cuisine.
Ma petite Maman était heureuse, sa joie était à couper au couteau et me contaminait progressivement malgré le sommeil qui m’habitait encore. Elle chantait son bonheur et avait bien raison. Elle allait enfin pouvoir regagner la ville de sa jeunesse après ces quelques années passées tour à tour à Oveng, par Sangmelima et maintenant à Ekondo Titi. La première est une petite bourgade de frontière qui lie le Cameroun au Gabon alors que la deuxième, très petite ville du Sud-ouest de la zone anglophone, connecte le Cameroun au Nigeria. Papa y avait été respectivement envoyé quelques années plus tôt en tant que commissaire spécial chargé de l’émi-immigration. Et il avait assuré !
Celui que maman nommait affectueusement Didi était appelé à d’autres fonctions : Police Judiciaire de Douala ! Finis les « Mon commissaire, Mon commissaire » dans une ville où presque tout le monde parlait pidgin ou anglais. En tout cas Papa revenait d’un de ses multiples voyages pour nous annoncer la nouvelle ! Ma joie à moi était plus grande de le savoir à la maison un mercredi après midi. C’était très rare. Je n’en demandais pas plus pour bondir du lit que j’occupais alors à l’époque avec Tonton Nestor, un de ces oncles improbables qui portait bien son nom. Il avait dû retourner au village quelques semaines plus tôt : la ville ne lui avait pas réussi…
Aaah Douala ! Je ne connaissais pas cette ville autant que ma Maman qui y avait fait toutes ses études. Même si tout le monde en parlait avec beaucoup d’excitation, je n’en rêvais pas plus que de faire évoluer mes dessins. Du coup ça ne me manquait pas d’y être. Ne dit-on pas qu’on ne souffre pas de ce qu’on ignore ? Jetais bien plus surexcité à l’idée de passer le reste de la journée avec mon héros. Eh oui il était bien là, assis dans le canapé vert et velouté de cette grande maison que l’état avait mis à sa disposition dès sa prise de fonction chez ces anglophones qui allaient finir par devenir ma 2e famille. Sans demander mon reste je fonçais l’embrasser et me battre avec mes frères pour avoir la meilleure place afin d’écouter ses aventures de flic. Et il ne se faisait jamais prier pour entamer une de ces anecdotes à faire pâlir Hercule Poirot. Il les puisait dans son quotidien lui ! J’aimais profondément mon père et je ne pouvais imaginer qu’il s’en irait aussi vite. 48ans c’est précoce ! Surtout quand on a vu naître aucun de ses petits-fils.
Deux semaines plus tard, on était sur la route pour Douala. J’eus quand même le temps de dire aurevoir à Divine et Humfrey, les seuls amis d’enfance que j’avais réussi à rencontrer dans cette course folle que l’Etat imposait à ma petite famille de fonctionnaire. Je serrais très fort le vieux cartable qui contenait ma collection de dessins et mes bd préférées. Notre voiture clôturait le cortège. Le vent me fouettait le visage et j’avais le cœur serré. Pour la dernière fois je voyais défiler la petite ville qui m’avait fait découvrir la partie anglophone de mon pays : l’église, le marché, le stade de njenku, l’hôpital…jetais triste. On était pratiquement sortis de la ville quand tout à coup je reconnus les aboiements de Bouboul…mon chien ! C’était de plus en plus distinct et je croyais rêver. Bouboul ? Comment était-ce possible dans ce bosquet ?
Je l’aperçus enfin, déboulant dans un virage, sous la poussière que les pneus soulevaient au passage, il courait derrière la voiture. Je me juchais alors sur la banquette arrière, donnant le dos au chauffeur. On était à plus de 7km.de la maison et Bouboul avait décidé de nous suivre, au pas de course. « On ne peut pas l’emmener » m’avait-on répondu. Le pauvre était sale, la langue pendante, il donnait tout ce qu’il avait pour nous rattraper. A des virages il disparaissait dans la poussière que soulevait les roues de cette voiture qui filait vers Kumba.