Au-delà du foot, une leçon de bravoure : Extrait de Mémoires de Créatif

-« Alooh Linus ? »
– « Oui Jean Lambert? »
« Aloooh Linus ? »
– « Oui Jean Lambert? »
– » Ils l’ont, ils l’ont fait » Ohlala. ils l’ont fait ». Qui pouvait y croire ? Qui pouvait croire à la victoire de cette équipe devant un tel adversaire ?
C’est impensable ! (pause de 4sec).
C’est incroyable ! (pause de 5sec).
C’est inimaginable ! (pause de 6sec).
C’est inexplicable ! (pause de 3sec).
C’est impeccable (pause de 3sec)
Cameroun 1. Argentine 0. (Pause de 5sec).
A vous le studio »

C’est ainsi que Jean-Lambert achevait son reportage. Essoufflé. Transfiguré. Étouffant dans cette overdose d’émotions qui avait envahi tout un peuple. Au loin on pouvait entendre cette joie collective monter vers le ciel telle une clameur sourde qui annonçait déjà les premières heures de la nuit. Ca criait et ça sautait de partout ! Ma joie se mélangeait aux pleurs des nourrissons qui criaient leur panique en essayant de rattraper leurs mères en furie. Bouboul aboyait bêtement dans ce vacarme indescriptible qui s’ajoutait aux klaxons de quelques fous de la moto. Parfois ça finissait mal ! Mais pour l’heure on avait GAGNÉ ! J’imaginais par moment ce que pouvait être la joie de ceux qui, comme ces journalistes, avaient pu vivre ce clash mémorable en direct du stade de Milan. Je me souviens encore de ces interminables poignées de main que notre jeune et charismatique Président enchainait dans la tribune VIP. Papa et ses amis qui regardaient le match avec nous applaudirent particulièrement ce moment en l’agrémentant de toutes sortes de commentaires d’adultes. Je n’y comprenais rien mais bon.

La voix de Jean Lambert planait dans la pièce, volume à plein tube, il était heureux de graver en sa mémoire de journaliste sportif un moment aussi intense. 90 minutes avaient suffi à quelques amateurs pour écrire leur histoire. Partis des stades poussiéreux du Camerun natal, ils y avaient mis du cœur et pouvaient en être fier : Battre Diego Armando Maradona dans un match d’ouverture à la David contre Goliath. Il fallait le faire. Aucune équipe d’Afrique n’avait encore réussi un tel exploit. La compète pouvait même s’arrêter là ! On avait réussi notre Coupe du Monde, celle de la bravoure, du courage et de l’abnégation.

Jean Lambert avait fait son boulot comme d’habitude : du propre. Il formait avec Linus, Pierre Lebon et les autres, une forme d’équipe de Lions indomptables…du micro ! A cette époque un match sans ces voix n’avait pas le même goût. Je découvrais à peine l’anglais mais j’en saisissais déjà quelques bribes malgré le timbre un peu étrange du sir Fon Etchekiye, le dernier des mohicans de cette période de gloire de la chaine nationale. Je me suis amélioré entretemps mais je comprends de moins en moins le parlé shakespearien de ce dernier. En tout cas c’est certain : ce match allait être le meilleur moment de sa carrière et celui de ces onze gaillards qui venaient de cramer tous les pronostics.

La grosse télé que papa venait juste d’acheter continuait à blablater sur ce match légendaire qui s’achevait à peine. Il avait retrouvé le sommeil. Maman lui avait mis une pression de feu avec ses  » M. Mekok, svp achetez une télé à vos enfants ci ! Je suis fatiguée de crier dans le quartier pour les retrouver ». Elle avait sur le convaincre de ramener un téléviseur à la maison. Et cette fois nous étions bien installé dans le confort de notre propre salle de séjour et c’était génial. Une nouvelle télé pour un match d’ouverture sur une coupe du monde de malade. Kenneth n’allait plus jamais frimer avec la minuscule et vieille télé noir-blanc qui régnait en maitre dans leur salon.
On s’agglutinait pendant de longues heures devant leur fenêtre, espérant le signal sonore qui annonçait, hymne national à l’appui, le début des programmes de CTV. Il fallait se faufiler ou arriver tôt pour avoir le meilleur angle afin de lorgner à travers les nacots sales de leur belle et modeste maison en planche. On restait là, campant à la fenêtre et les yeux rivés vers cette masse grise qui s’allumait toujours sur un dessin animé un peu étrange : « les Barbapapas ». En tout cas je n’avais plus à souffrir le martyre, on avait la nôtre de télé…en couleur en plus
…Armand-Thierry Nguélé